Un des moyens efficaces pour donner de la profondeur à tes personnages est de questionner les valeurs qui les animent. La possibilité d’un récit naît quand il y a un enjeu, quelque chose qui vient frictionner les habitudes et fait bouger les lignes. Or les valeurs essentielles créent des désirs et des besoins qui poussent les personnages à agir et à réagir en fonction d’elles. Ainsi, grâce à un système de valeurs bien réfléchi, l’auteur peut-il créer un/plusieurs enjeu/x externe/s ou interne/s.
Comment les valeurs peuvent-elles créer une intrigue ? Comment les valeurs peuvent-elles créer le dilemme et comment trouver les valeurs d’un personnage ? C’est à ces questions que cet article propose de répondre.
Valeurs en jeu entre personnages
Commençons par l’analyse la plus évidente : le conflit de valeurs entre le protagoniste et l’antagoniste.
C’est à partir des valeurs que vous allez leur donner que vos personnages vont agir, car ces valeurs leur permettent de lire et d’interpréter le monde d’une manière singulière, qui leur est propre. Ainsi ces deux personnages peuvent-ils être animés par des valeurs contraires.
Créer une intrigue à partir d’un conflit entre valeur et anti-valeur
C’est le plus évident, le plus simple, sans doute le plus cliché : le conflit naît d’une manière opposée de voir le monde.
honnêteté/malhonnêteté, bienveillance/égoïsme, tolérance/irrespect… : voilà de quoi créer une histoire façon « super-héros ». Mais, à mon sens, à moins de vouloir construire un système manichéen avec un héros qui serait le gentil et un antagoniste qui serait le méchant, ce n’est pas le système le plus intéressant.
Des valeurs similaires mais une lecture différente
Cela devient intéressant quand l’antagoniste et le personnage principal sont animés par la même valeur, mais qu’ils n’agissent pas de la même façon pour l’honorer ou qu’ils sont animés par des valeurs dites « positives » qui peuvent entrer en conflit (accomplissement/altruisme, bienveillance/professionnalisme, discipline/liberté).
Alors la frontière entre les « méchants » et les « gentils » se floute et les personnages gagnent en profondeur tandis que l’intrigue gagne en intensité et en nuances. Le lecteur lui-même peut ne plus savoir qui suivre, qui aimer et c’est très agréable de voir que l’auteur nous encourage alors à lire son récit à l’aune de nos propres valeurs et à exercer notre liberté de penser.
Je vais tenter de donner des exemples plus précis. Des personnages, animés par une même valeur d’amour, par exemple, peuvent entrer en conflit si cette valeur est associée à une autre, différente. Un personnage peut vouloir s’engager pour défendre une cause (valeurs : amour, altruisme, engagement, liberté) alors qu’un autre peut vouloir rester à l’écart pour protéger sa famille (valeur : amour, altruisme, protection, pacifisme). Le bien, ici, ne s’oppose pas au mal, il s’agit seulement d’ordre de priorité et de la manière d’être au monde.
Le conflit peut venir aussi de l’idée qu’on se fait de la valeur. Prenons la bienveillance. L’un pensera que, pour être bienveillant, il faut valoriser l’autre quoi qu’il arrive, alors qu’un autre personnage pensera que pour être bienveillant, il faut être honnête et pointer aussi bien les manques que les réussites. Prenons un autre exemple la liberté : l’un peut penser qu’il est libre quand il est seul, alors il décide et agit seul, alors qu’un autre agira pour créer plus de liberté en groupe, avec les autres, en prenant des décisions communes et en faisant des concessions.
Chacun a une pensée différente sur la manière de vivre une valeur commune. Et c’est intéressant, quand on crée un réseau de personnages de réfléchir à cela. Sa valeur que je questionne dans le récit est la liberté, je peux écrire sur mon brouille : tel personnage pense que la liberté, c’est… Tel autre pense que la liberté, c’est etc.
Mais l’enjeu peut aussi être interne au personnage principal.
Conflit de valeurs interne
En effet, un conflit de valeurs interne peut faire naître le récit.
Des valeurs qui entrent en conflit
Un personnage, comme une vraie personne, peut avoir ses contradictions. Cette complexité est également un ingrédient savoureux pour le lecteur qui l’apprécie d’autant plus qu’il est imparfait.
Dans les polars, il arrive souvent que lea policier.e soit aux prises avec un conflit interne entre deux valeurs : l’amour paternel (ou maternel) et la soif de vérité et de justice, qui font qu’iel est partagé.e entre son enquête et sa famille et comment gérer les deux sans en abandonner un.
Autre exemple : dans Les Roses Fauves, de Carole Martinez (que j’ai adoré et que je vous recommande au passage), la narratrice est partagée entre la valeur de vérité (elle veut tout savoir sur Lola dont elle s’inspire pour son personnage) et le respect de l’intimité de cette personne. Carole Martinez montre très bien qu’elle est frustrée par ce conflit interne. Lola, elle-même, est partagée entre le respect de l’intimité de ses ancêtres et le désir de vérité et de connaissance (elle garde avec elle les cœurs cousus de ses ancêtres, qui y ont écrit leurs secrets avec la promesse que leurs descendantes ne les ouvriront jamais et les garderont précieusement).
Je pourrais multiplier les exemples, mais j’espère que ceux-ci seront suffisamment parlants. Le dernier système que je voudrais évoquer est celui où le protagoniste est confronté à un conflit interne lié à l’application d’une seule valeur.
Une seule valeur, un conflit
Dans la vie du personnage (comme d’une personne réelle) une même valeur peut trouver différentes manières de s’appliquer. Prenons l’amour et imaginons le début d’une romance : le personnage vit seul avec son enfant pour qui il est entièrement disponible, qui passe avant tout. Il rencontre un autre personnage, dont il tombe amoureux. Il y a alors 3 manières de vivre l’amour : l’amour pour son enfant, l’amour de soi et l’amour de l’autre. J’y ajouterai le respect qui va parfaitement avec ces trois cas de figures. Le personnage (même si cela ne correspond pas à ma propre façon de voir la situation) peut très bien mal vivre le fait d’être moins disponible pour son enfant (comme s’il délaissait l’amour pat/maternel) pour vivre davantage son amour naissant pour l’autre. Il y a alors un conflit interne créé par la fidélité à une même valeur et à sa façon de la vivre et de l’envisager.
Je vais prendre un autre exemple, tiré d’un de mes propres textes, La Letra Escarlata (à paraître le 8 mars 2022 sur Doors). Ana est animée par la valeur de la justice. Je resterai assez floue sur cet exemple pour ne pas dévoiler l’intrigue. Or, sa situation fait qu’à la fin du récit elle va vouloir se rendre justice et créer, pour un être qui lui est cher, une situation que d’aucun considéreront comme injuste. D’ailleurs, j’ai adoré écrire ce passage où je voulais présenter la situation de la manière la plus neutre possible, de sorte que le lecteur puisse en penser ce qu’il veut en fonction de sa propre lecture du monde.
Maintenant que vous avez vu les différentes manières de créer une intrigue nuancée à l’aide des valeurs, la dernière question qui reste en suspens est : comment trouver les valeurs d’un personnage ?
Comment trouver les valeurs d’un personnage ?
Vous l’aurez compris, chercher les valeurs qui animent ses personnages avant de commencer le récit est un moyen, pour l’auteur, de simplifier et en même temps d’approfondir la psychologie du personnage, ses motivations, sa manière de voir le monde et d’agir. Cela permet aussi de lui donner une cohérence et de le nuancer.
Si vous ne vous êtes pas posé la question avant l’écriture, vous pouvez aussi vous la poser après, lors de la relecture. Cela peut faire un bon angle d’attaque pour l’étape de la réécriture.
Pour trouver les valeurs d’un personnage, vous pouvez partir de ses émotions. Voici les questions que vous pouvez lui poser. Vous pouvez également faire l’exercice pour vous, il peut être une belle source d’inspiration :
- Qu’est-ce qui te fait pleurer ? Peux-tu me raconter la dernière fois que tu as pleuré et me dire pourquoi ?
- Qu’est-ce qui te met en colère ? Te fait sortir de tes gonds ? Te fait agir de manière spontanée ?
- Qu’est-ce qui t’agace ?
- Qu’est-ce qui te rend heureux ?
- Quel type de scène (dans un livre, un film, une série TV, dans la vraie vie) t’ébranle ? Te fait venir les larmes aux yeux ?
Essayez de répondre de manière précise peut aussi te permettre de faire naître des scènes que tu pourras glisser dans ton roman.
J’espère que cet article t’aura été utile. N’hésite pas à me le dire ici ou ailleurs. Et partage cet article, si tu penses qu’il peut servir à d’autre !
Je te souhaite une belle journée.